"Vlô, vlô, venez mes beaux"

Chasse ancestrale et traditionnelle s'il en est, la vénerie du sanglier retrouve une nouvelle jeunesse.
Le développement des populations de "bêtes noires" favorise la création de nouveaux vautraits.
Suivez-nous sur les traces de l'équipage de Inès et Michel Monot, le "Piqu'Avant Bourgogne".

Extrait de l'article paru dans "Plaisir de la Chasse" N°584 de Mars 2001 par Lyonel Chocat

Nous sommes dans 1’Aube, au Coeur de la forêt de Clairvaux, un beau massif agréable et vallonné à souhait, peuplé principalement de feuillus, chênes et hêtres. Le jour naissant éclaire faiblement les allées forestières de la domaniale.

Derrière son chien de pied, Gérard, dit 'La Brisée", puisque c'est, depuis janvier dernier, son nom de vénerie, parcourt le bois à la recherche d'un boutis ou d'un vermillis laissé par cet animal passionnant qu'est le sanglier. Le rôle du valet de chien est primordial.

A ce moment de la journée, avec son limier, il évaluera, d'après les indices, le nombre d'animaux, les poids; l'état des laies meneuses, dont certaines peuvent être gestantes, les animaux isolés, mâles ou femelles prêtes à mettre bas. L'âge des traces, sorties du soir, rentrées du matin seront également soigneusement notés pour le rapport au maître d'équipage.

Aujourd'hui, la chasse se présente bien. Les animaux se sont déplacés et le chien de pied a confirmé leur passage récent. Une branche cassée est déposée sur la voie, à l'entrée de la coupe, probable remise des animaux. "La Brisée"; par un large détour sous le vent, pour ne pas mettre les sangliers en alerte, bouclera son circuit. Oui, aujourd'hui cela va bien, il y a une rentrée fraîche et franche et pas de sortie. La compagnie est bien là, accompagnée de deux animaux, l'un estimé à deux cents livres, l'autre à cent vingt, peut-être cent trente. S'agit-il d'un grand mâle et de son page?

haut du document
Le rapport

Vers dix heures, il faut regagner le pavillon des Gravilliers. Au rendez-vous de chasse, il règne une grande agitation. Les préparatifs vont bon train. Les chevaux sont sellés et harnachés, les "boutons" (membres de l'équipage) revêtent la tenue du Piqu'Avant Bourgogne, redingote grise à parement bleu, sur gilet de vénerie bleu roi.; Cravate, épingle, bombe, tout doit être impeccable pour le rapport. Les chiens mis au chenil attendent impatiemment, eux aussi, l'ouverture: des portes. Onze heures, le maître d'équipage, donne le signal.- La meute, bien sous le fouet, suit docilement Michel Monot qui se tient maintenant face à ses boutons et aux nombreux suiveurs qui accompagneront l'équipage. Un à un, les valets de limier sont invités à faire le rapport du pied, c'est-à-dire décrire précisément les résultats de leur quête du matin. Le rapport de 'La Brisée' sera précis: 'J'ai connaissance, sur la Renardière, d'une compagnie de huit animaux, accompagnée de deux bêtes isolées; probablement deux mâles, un de deux cents livres, l'autre de cent quarante. Les animaux sont remisés dans la coupe 321,encore encombrée de chablis".
haut du document
Un choix difficile

Après avoir entendu tous les rapports des "hommes du pied", le choix du maître d'équipage sera, pour cette journée, délicat. II y a beaucoup d'animaux. Dans une compagnie, les sangliers de cent livres sont difficiles à prendre car les risques de change sont grands. Les deux bêtes noires isolées semblent être plus intéressantes, mais, si ce sont des mâles, la chasse sera rapide et probablement longue. Après une courte réflexion, la décision est prise : "Nous attaquerons dans la coupe 321, sur la remise: de "La Brisée". Nous mettrons les rapprocheurs sur la rentrée des animaux à la Renardière, et, dès que les sangliers seront lances, nous découplerons la meute". Ce choix, qui va déterminer la réussite ou l'échec de la journée satisfait les boutons qui acquiescent. "Mesdames, Messieurs, à cheval".
haut du document
La chasse est lancée

Les cavaliers se dirigent vers l'enceinte d'attaque et les autres suiveurs vont prendre position sur les refuites éventuelles des animaux. Sur la voie marquée par le valet de limier, les rapprocheurs sont libérés. Leur fougue ne laissera pas longtemps la forêt silencieuse. Déjà les premiers se récrient au milieu des arbres dénudés par les frimas d'hiver. Le travail des chiens est splendide à écouter. Pendant une demi-heure, depuis l'allée de la Renardière, on peut suivre le rapproché. L'ambiance monte aussi vite que la voix des chiens. On devine la scène. Soudain, les cris s'intensifient et semblent ne plus pouvoir sortir de la gorge des rapprocheurs. Ça y est, c'est lancé. "Vlô, vlô, Allez mes beaux". Alors tout s'accélère. Sur la route forestière, la meute, composée d'une quarantaine de grands anglo-français, bondit du camion. Quelques cavaliers viennent les prendre en charge et les entraînent sur la voie de l'animal de chasse. Une explosion' sonore s'ensuit. Un long hurlement intense et vibrant anime maintenant la forêt de Clairvaux. Les cavaliers collent à la chasse tandis que les autres suiveurs s'interrogent: quelle direction le sanglier va-t-il prendre ? Où aller se poster pour l'apercevoir ? Les hésitations seront de courte durée. La meute s'enfonce en forêt en direction des Momonts, secteur de coupes en régénération et particulièrement chargé de ronces. Trois coups de pibole retentissent, suivi par une sonnerie de trompe, la vue. Enfin il est identifié. Les chiens sont sur le mâle de cent quarante livres environ. Les informations arrivent à la route. Le sanglier s'est fait rebattre dans les chablis de la 321 avant de vider l'enceinte. Le grand mâle qui l'accompagnait sera aperçu très fugitivement. Il s'est dérobé bien avant l'arrivée des rapprocheurs à la bauge.
haut du document
Une hésitation fatale

La chasse durera près de deux heures. Notre sanglier maintient son avance sur la meute. Il se déplace vent arrière. Ce vent sera son complice; il le renseigne sur la position des chiens.. Les coupes sont traversées à allures différentes, suivant leur état de dégagement. Oui, effectivement, la tempête a fait beaucoup de dégâts. Mais que se passe-t-il ? la chasse, jusqu'à présent bien sonore devient hésitante, presque silencieuse. Le sanglier, vient de faire un contre qui sera vite relevé par les chiens de tête. Il commence à fatiguer et cherche maintenant à ruser. Epines noires, grand bois, à nouveau les épines. L'allure faiblit,' l'ardeur des chiens grandit. Ils savent maintenant que la bête noire est à leur portée. L'écart se' réduit. A nouveau la meute est en défaut. "Bonté de bois d'épines, ils vont le perdre dans ce fatras". Non, le voilà : "Vlô vlô mes beaux, il est là !". Les premiers cavaliers arrivent déjà pour appuyer les chiens les plus avancés. Le sanglier ruse, tourne, retourne, recule dans ce qu'il croit être une remise sûre. L'erreur sera fatale. Les premiers chiens sont là, qui le chassent à vue. Le ragot tourne à angle droit, deuxième erreur. Trois anglo-français l'attendent au passage, coupe sa trajectoire, le serrent de près et le saisissent. Le contact ne suffira pas à le mettre à terre, mais affaiblie, la bête noire se recèle dans les plus épais fourrés. II s'arrête. La meute colle sur lui en ferme roulant. Entouré par les chiens, sur ses fins, il fait face un court instant. La dernière lutte est brève. Jean-Louis, bouton de l'équipage et premier cavalier présent sur les lieux mettra très rapidement fin à ce combat, aujourd'hui perdu par le sanglier.
haut du document
Honneurs et sonneurs

La meute est de nouveau sous le fouet et les membres du vautrait regagnent le pavillon de chasse. Michel Monot est content. Les chiens ont bien travaillé, la remise de "La Brisée" était bonne et ce sanglier-là s'est bien défendu. C'est le moment de quelques confidences. "Nos relations avec nos voisins, chasseurs à tir, sont excellentes. Ils nous ont donné l'autorisation de suite sur leurs territoires". En remerciement, Michel Monot les invite sur son lot quelques fois par an et les fait participer à la réalisation du plan de chasse. Un échange de bons procédés qui devrait être généralisé entre chasseurs partageant la même passion, mais utilisant des techniques différentes. Cavaliers, chiens et suiveurs se retrouvent rapidement au rendez-vous. Alors ici commence un autre cérémonial, la préparation de l'animal pour le dernier acte de cette journée, la curée. Après avoir prélevé les deux pattes avant, qui seront dépouillées et tressées, le sanglier est dépecé. La peau servira de cape et recouvrira la venaison destinée aux chiens, c'est leur récompense. La meute, alignée, ondule au rythme de la dépouille agitée doucement par un membre du vautrait. Les fanfares qui retracent les différentes péripéties de la chasse sont sonnées devant tous les suiveurs : les boutons, les invités et le public. Au terme des sonneries de circonstances, le maître d'équipage s'approche de l'un des boutons et lui fait les honneurs du pied. Il lui remet, avec les félicitations d'usage, le pied droit de l'animal de chasse, savamment tressé, plus cher que tout aux yeux des amoureux de la vénerie. Ce symbole, chargé d'histoire, représente à lui seul le respect du veneur et le maintien des traditions. Il couronne la passion et la volonté de faire perdurer la vénerie française à travers une activité cynégétique plusieurs fois séculaire. Enfin, sur le signal du maître d'équipage, la cape est retirée. Les chiens sentent le repas proche et attendent nerveusement l'autorisation de faire curée. "Allez mes chiens, allez", un court instant le sanglier se remet en mouvement, le temps que la meute se partage le fruit de son travail.


"Allez mes chiens, allez", un court instant le sanglier se remet en mouvement,
le temps que la meute se partage le fruit de son travail.
haut du document



Contact mail